La guerre

La guerre

samedi 7 mars 2015

Lettres de Joseph Richard sur le front d’Orient

Lettres de  Joseph Richard sur le front d’Orient 1915,1916, 1917 et 1918

à son oncle et sa tante Vincent et Octavie Chiron






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Aux  armées le 27 mai 1915

Chère tante, cher oncle,
La guerre m'a mis affreusement en retard dans ma correspondance, hier j'ai eu le temps d'écrire au Bocage, cet après-midi t'est réservé. De moi je ne peux rien te dire, du pays que j'habite, idem ; le seul renseignement que je peux vous donner c'est que je suis sous ma toile de tente et qu'il y fait bien chaud, surtout sans bière!
Tu me demandes des détails sur mes camarades: eh bien voici : l'un est étudiant en sciences, l'autre instituteur et le dernier, militaire, c'est à dire enfant de troupe, leurs pays sont respectivement, Paris, Bordeaux, Poitiers, du reste pour l'instant je suis seul, je suis isolé de la compagnie avec mes 38 poilus et je ne vois plus personne, sauf ceux que je ne voudrais jamais voir!
Je n'ai pas encore reçu les chaussettes que tu m'annonces, elles ne doivent cependant pas tarder. Merci des journaux qui m'arrivent toujours très régulièrement, j'ai lu ce matin l'avis de décès de Mr Roche, avocat, encore un brave homme qui disparaît de Chambéry.
Il faut que j'écrive à Max, je m'arrête. Je vous embrasse de tout coeur toi et oncle Vincent.

Joseph Richard


P.S. Donne moi dans la prochaine lettre des tuyaux sur le mariage de ma cousine SVP.


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Hidzerharabati    le 20 mai 1916


Chère tante, cher oncle
Je vous adressais hier une laconique carte pour vous remercier de votre longue lettre du 15, aujourd'hui ma liberté et ma santé me permettent de vous écrire plus longuement.
Nous sommes à cause de notre déplacement restés 15 jours sans courrier et le temps paraissait long, aussi son arrivée nous a causé une vive joie puisque il nous apportait de bonnes nouvelles de notre lointain pays.
Tout d'abord, je réponds à vos questions : j'ai un livre de messe qui me suffit, j'accepterais ton "Imitation" mais ce serait encore un poids de plus pour mon sac, puis, je t’assure, franchement que je n’aurais pas le temps de la lire.
Y a-t-il beaucoup de malades me demandes tu? Je l'ignore, chez nous, c'est à dire à notre bataillon, il n'y a rien d'anormal, la diarrhée ne se fait pas trop sentir, heureusement du reste car que resterait-il au mois de juillet?  Pour l'instant, l'état sanitaire est satisfaisant.
C'était à prévoir, j'ai eu un douzième furoncle au lieu et place du premier, il ne m'a pas trop fait souffrir.
Nous sommes toujours en réserve et j'entendais le major ce matin dire à notre capitaine que l'on pouvait y rester encore des semaines.
Toutes sortes de bruits courent sur la prochaine offensive, de fait on la prépare, les divisions sont presque toutes au contact avec les Bulgares, mais on se contente de se regarder, de se canonner et de patrouiller entre les positions respectives ; les Serbes arrivent chaque jour avec force mulets ; plusieurs trains sont passés dans notre secteur ; nous sommes prêts à avancer bien que le moral des hommes soit bien bas.
Ce matin j'ai reçu ma 2em inoculation de vaccin anticholérique qui doit être renouvelé tous les six mois.
Les journaux de Salonique parlent beaucoup de paix ces jours-ci  pour ma part, je n'en crois pas un mot, car la paix ne peut être que le résultat d'une grande victoire alliée.
Deux jours de suite nous avons eu de violents orages, ce qui a  abaissé un peu la température, beaucoup de poilus se sont réveillés dans l'eau, en particulier le capitaine qui avait 40cm d'eau dans sa cagna, tu vois qu'ici lorsqu'il pleut ce n'est pas pour rire!
Nous sommes envahis par les mouches qui se comptent par milliers, c'est bien désagréable, tant pis c'est pour la France. Je me porte toujours bien et crois pouvoir assister à la prise de Sofia. Je vous remercie du brin de lilas que j'ai conservé précieusement dans mon portefeuille.

   Je vous embrasse de tout coeur et vous remercie de vos longues lettres

Joseph  Richard

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     Le 29 Mai 1916

     Chère tante, cher oncle,

J'adresse par le même courrier une lettre au Bocage qui vous dira que nous avons quitté le camp retranché pour venir à la frontière.
Nous sommes à Tarnovo, à l'ouest de Démiu Hissar (que vous trouverez sur la carte), nos avant-postes sont à 800 mètres d'altitude, tout d'abord il fait moins chaud, nos tentes sont cachées et abritées sous de gros arbres qui nous donnent de la fraîcheur et de l'ombre, deux choses inconnues depuis trois mois et d'autant plus appréciées.
A cinq minutes de ma tente, se trouve un village, Tarnovo, peuplé de Grecs, de Turcs et de Bulgares, ce n'est plus le misérable village grec de la plaine, on sent la richesse, l'opulence même, les paysans sont très bien habillés, tous ont de jolis petits chevaux (qui ne les quittent pas), les maisons sont bien bâties et les écuries regorgent de bêtes à cornes : vaches, boeufs, chèvres, moutons ; les terres sont cultivées et produisent les mêmes céréales et fruit que l'on trouve dans la vallée de Chambéry, y compris le tabac, d'ailleurs les photos que je vous enverrais vous en donneront une idée.
J'ai reçu hier votre colis contenant béret, bretelles et conserves, je vous remercie de votre amabilité et je vais encore demander un service à tante Octavie. Le Bocage, comme vous le savez, m'a envoyé un Kodak, mais comme il est impossible de faire développer les photos ici, je vous prierai de me faire ce travail à Chambéry et vous demanderai d'être assez aimable de les porter chez le photographe pour me les faire tirer sur papier et de conserver les pellicules, car au Bocage tous ont trop d'occupations. Dites-moi si vous pouvez le faire ?
Les bérets vont très bien et les bretelles sont presque trop jolies pour les Grecs ! Les boîtes seront dégustées sous peu. Ma santé et mon moral sont excellents. Notre nourriture n'est pas mauvaise comme on le dit à Chambéry, certainement ce ne sont pas des dîners de rois que nous faisons, mais c'est mangeable ; sûrement, lorsque l'on prendra l'offensive, ce sera moins bon, que vont dire alors ceux  qui se plaignent aujourd'hui!
L'on m'appelle pour aller instruire les grenadiers.
Je vous embrasse et vous remercie pour toutes vos amabilités et les dérangements que je vous cause.
 Bons baisers, votre neveu,


Joseph Richard


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Poroy le 1 juin 1916                     

Chère tante, cher oncle,
Hier j'ai reçu ta lettre du 16/5 m'annonçant les bérets, les bretelles et les deux boites de conserve, je vous en ai déjà remerciés et accusé réception dans ma dernière lettre.
Je suis heureux de savoir que Charles Masson arrive à Salonique où il sera très bien, depuis que les territoriaux préparent de jolies routes pour ces messieurs!
Le fils Clus est avec moi dans la même compagnie, il n'est pas dans ma section mais on se voit tous les jours pour se donner des nouvelles de Chambéry.
Nous sommes depuis hier à Poroy pour occuper la voie ferrée de Serrès-Doiran, nous y sommes arrivés à temps, car les Bulgares devaient le faire le lendemain.
Ma compagnie tient la droite du village et cette nuit j'étais en patrouille avancée avec six hommes, la nuit était noire et il a fallu ouvrir l'oeil pour ne pas se faire égorger par les komitadjis bulgares qui savent magistralement ramper pour venir nous enlever nos avant-postes. Tout a été calme et je n'ai rien eu à signaler, de jour, nous patrouillons continuellement pour arrêter les espions, les fouiller, les conduire à l'arrière et je vous assure que l'on ne perd pas de temps ; ainsi depuis hier matin à trois heures (et il est treize heures) je n'ai pas eu le temps de dormir. Je vous écris, assis derrière un bouquet d'arbres, en arrière de mes sentinelles qui font bonne garde.
Lorsque nous sommes au repos, nous couchons sous la tente individuelle, il n'y a pas de tranchées, c'est la guerre en rase campagne. La guerre de surprises et d'embuscades, nous campons au milieu d'un bois où le soleil n'a pas droit d'entrer, on se croirait sous les marronniers de la Brasserie et il n'y manque que la bière...
Je me porte toujours à merveille.
Votre neveu qui attend de pied ferme les Bulgares,
Joseph Richard.

P.S. Je vous enverrai les photos dans quatorze jours.

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         Le 10 Juin 1916  
Chère tante, cher oncle,
J'ai entre les mains votre lettre du 23 mai 1916  que j'ai lue avec grand intérêt puisqu'elle me donnait de nombreuses et bonnes nouvelles.
Charlot doit être à Salonique et ne tardera pas à venir nous ravitailler ; dès que vous connaîtrez son adresse, envoyez-la moi.
Mais ne craignez rien pour la fille du Pope que nous avons laissée à Hadizeharabati, 60 Kilomètres nous séparent! D'ailleurs ici nous voyons de gentilles bulgares qui valent la fille du Pope ! Malheureusement, sitôt qu'elles voient arriver la patrouille française, elles fuient à toutes  jambes...
Ce matin j'ai fait une patrouille épatante : c'était une reconnaissance à longue distance, nous sommes tombés sur un village abandonné, les maisons étaient vides, par contre les jardins étaient à point, nous avons remplis nos musettes de haricots et autres légumes, en plus, nous avons trouvé trois ruches à miel que nous avons emportées et ce soir l'on va faire un bon souper ; en ma qualité de fils d'apiculteur, j'ai extrait plus ou moins bien le miel des ruches et chacun aura une bonne tartine ; enfin un poilu "à la hauteur" c'est à dire débrouillard, a déniché 10 poules dans un poulailler, quelle noce, mes aïeux ! (ce sont les cris des poilus...)
Depuis trois jours je n'ai plus de tabac, ça c'est triste, l'Intendance ne veut plus nous en donner que seulement tous les dix jours! Pleurez, mortels!
J'ai trouvé tes roses du Bocage, hélas leur parfum s'était envolé à travers la grande Bleue!
Les Bulgares sont très tranquilles aujourd'hui, ils ne nous ont pas encore bombardés et nous n'avons pas encore vu de leurs patrouilles.
Il fait toujours bien chaud, ma santé est toujours excellente, cependant je bois en moyenne 5 litres d'eau par jour.
Je vous embrasse affectueusement
Joseph Richard                    
P.S. Je vous enverrai probablement cette semaine les pellicules.




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        Por…….le 17 Juin 1916

     Chère tante, cher oncle,
Nous attendions tous avec impatience le 17 Juin, jour qui devait marquer la fin des hostilités et nous sommes déçus, encore une fausse prédiction, je viens m'en consoler auprès de toi en répondant à ta lettre du  3 mai.
Nous sommes toujours à P., nous consolidons nos positions, les fils de fer des tranchées ne nous font plus défaut. Notre vie n'a rien de changé, petits postes, patrouilles, embuscades etc...etc...on ne dort que le jour, la nuit, il faut veiller et si l'on ne veille pas, les moustiques nous empêchent de dormir, j'attends la moustiquaire par le premier courrier, il me rendra de gros services, car nos vrais ennemis sont les mouches, la chaleur, les moustiques et les poux.
Nous avons vidé les jardins des villages d'alentour et les légumes verts ont disparu de l'ordinaire, par contre il y a deux jours, un poilu a trouvé un fusil de chasse et nous a apporté trois lièvres le même soir, les débuts étaient trop beaux, depuis, il est toujours revenu bredouille...
Les maladies intestinales causées par les chaleurs ont fait leur apparition à la Compagnie, il y a déjà quelques évacuations, ce n'est pas étonnant puisque ce matin encore le thermomètre est monté à 56° et lorsqu'il faut rester en faction sous ce soleil ce n'est pas agréable. N'oubliez pas de m'envoyer le plus tôt possible l'adresse de Charles Masson.
Une patrouille de chez nous rentre et amène des déserteurs bulgares qui en annoncent six autres pour demain qui se rendront au même poste, de fait, demain on verra arriver les six poilus, c'est leur truc...
Je vous embrasse de tout coeur,
       Votre neveu, Joseph Richard

Ils ne passeront pas! Nous les aurons!


…………le 22  juin  1916

Ma chère tante, mon cher oncle,

J'ai reçu votre lettre deux jours après le colis de gaze, confitures et jambon, je vous en remercie infiniment surtout pour la moustiquaire qui me permet de faire de bonnes siestes.

Je suis dans la vallée de Dairen Hissar, exactement à 25 kilomètres de Dairen Hissar, à Poroy, (le Nouvelliste en a parlé et la carte l'indique) qui s'écrit Poroy ou Porôi, nous occupons des postes en avant du bourg.

La ville la plus rapprochée serait Kutch Kilted à 40 Km et Salonique à 100 Km, les autos viennent à 15 Km de nos positions.

Les Boches nous ont descendu deux avions cette nuit. Le front est calme, cependant chaque jour une vive fusillade se déclenche dans un coin quelconque du secteur, les blessés sont rares chez nous, sous peu je fais faire des raids chez les bulgares avec les grenadiers, ce sera intéressant.

Il fait toujours très chaud. Bonne santé

Je vous embrasse très fort.

Joseph Richard

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Sokolovo-Chaouchby (côte 357)        
 le 1er juillet 1916
Chère tante, cher oncle,
La correspondance du mois de Juin n'a pas du être bien à jour rue de la Banque, aussi votre lettre du 23 que j'ai reçue ce matin m'a fait grand plaisir, puisque depuis 15 jours je n'avais rien reçu de vous.  Je l'ai écrit au Bocage il y a quelques jours, nous avons quitté notre position avancée vers P.... qui devenait intenable à cause du bombardement continuel auquel on était soumis ; depuis le 4, nous sommes en réserve et notre bataillon est occupé à la construction de routes. Je viens d'acquérir un titre, celui de sergent artificier qui consiste à éclairer une position la nuit, soit par des grenades, soit par des fusées éclairantes, c'est très intéressant, je suis donc grenadier et artificier. Quant aux colis, il est préférable de me les envoyer par la poste, papa m'en a expédié un de 3 Kg par chemin de fer, le 9 Juin, un autre le 13 et je n'ai encore rien reçu, tandis que j'ai reçu un postal du Bocage du 26 ; à propos j'ai commandé au Bocage des "leggins", aie la bonté de leur dire de me les expédier le plus tôt possible car les miens sont à bout.
Je t'ai envoyé les pellicules tu auras bien la gentillesse de m'en renvoyer des exemplaires et surtout de réclamer les pellicules développées au photographe et de les garder précieusement jusqu'à mon retour.
Ce matin le petit Clerc est allé à Salonique chercher des mulets, il aura peut-être la chance de rencontrer Charlot sur son chemin.
Si tu as quelques illustrés à me faire passer, ce serait très intéressant pour moi.
Il fait si chaud que l'on ne peut pas même dormir la nuit, fort heureusement j'ai ta moustiquaire qui me rend de grands services.  Ma santé reste merveilleuse, tandis que tous les autres sont malades.
Je vous embrasse bien fort et de tout coeur,
Joseph Richard.
         Torodovo ,le 26 juillet 1916       Chère tante, cher oncle,
Votre lettre m'annonçant l'arrivée des pellicules m'a bien fait plaisir et je souhaite qu'au prochain courrier j'aurai quelques exemplaires et quelques pellicules neuves. Quant au mariage de Clerc, ainsi, tout ce que je t'ai conté est véridique, Jacques Clerc est fiancé à une étudiante en médecine, ses parents en sont au courant et ont donné leur avis favorable, ce n'est peut-être pas encore officiel à Chambéry, aussi je ne vous conseille pas de l'ébruiter mais sur mon honneur, je vous dis la vérité.
27 juillet 1916
Depuis bientôt huit jours je suis affecté au poste de garde du colonel et je vais y rester encore quelque temps, le service n'est pas pénible, je ne demande qu'à y rester le plus longtemps possible.
Notre division est au repos jusqu'à nouvel ordre, on parle fort de nous envoyer soit à Florina soit à Cavalla, j'en suis très content, ce sera une occasion pour voir de nouvelles contrées ; un autre tuyau dit que notre brigade n'aura que deux régiments désormais, le 3° serait envoyé pour combler les vides des deux autres, mais cette fusion donnerait un surplus d'officiers et de sous-officiers, on ferait donc parmi eux une sélection et les officiers et sous-officiers d'active rentreraient en France et seraient affectés à leurs anciens régiments. Pourriez-vous me donner l'adresse de M. le Capitaine Roux, attaché à l'Etat-major Sarrail ?
Avant de terminer ma lettre, je vous remercie de votre dernier colis: boyau, conserves et tabac. Je vous expédie aujourd'hui des pellicules.         Nous avons eu cette nuit un orage épouvantable, j'ai été inondé sous ma tente et j'ai du passer la nuit stoïque sous la pluie, ma capote sèche en ce moment et le soleil aura bientôt fait de me réchauffer.
Nous ne sommes pas encore prêts pour faire reculer le Bulgare, un gros renfort de Russes et d'Anglais doit nous arriver, ce ne sera qu'alors que l'Armée d'Orient bousculera ses ennemis et ira tendre la main à ses frères latins: les Roumains.
Je vous embrasse de tout coeur,
Joseph Richard



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         Sokolovo près Poroy le 7 août  1916      
                    
         Chère tante, cher oncle,

Depuis hier matin il pleut, ma guitoune n'est plus qu'une mare d'eau, mon sac est trempé, ma capote pèse au moins dix kilos ; ce matin un épais brouillard recouvrait toutes les collines environnantes, je me suis cru au mois d'octobre en France, ce spectacle qui m'a rappelé mon pays m'a enlevé le cafard causé par le sale temps d'hier.
Le colonel nous a appris que nous allions ce soir relever les avant-postes, je n'en suis pas fâché car ici je m'ennuie, il me faut un peu de vie et d'activité, deux choses introuvables au 372 ; aussi comme on demandait des volontaires pour encadrer un corps monténégrin, j'en ai fait la demande et espère obtenir et combattre sous peu avec mes frères d'armes Bosniaques.  (Vous ne direz pas à propos, à papa que j'y vais comme volontaire car je lui ai dit que j'étais désigné d'office).
Vous me reprocherez peut-être mon action, mais je vous le dis, sans me vanter, qu'il me manque de l'imprévu dans ce régiment de réserve, je vais rentrer dans un régiment d'attaque où je pourrai rassasier à mon aise toute ma haine contre nos ennemis.
Des Russes débarquent à Salonique depuis plusieurs jours, on en attend une division !
Je vous ai adressé par tante Antoinette une photographie que mon lieutenant a eu l'amabilité de me faire, vous verrez que je ne vous mens pas et que ma santé est radieuse.
Je vous embrasse de tout coeur,
Un futur bosniaque.
                                                         Joseph Richard
Ecrivez moi toujours au 372 car je ne suis pas sûr que ma demande soit acceptée.
Je répondrai sous peu à la longue lettre d'oncle Jules.

……..

15 Août 1916

  Chère tante, cher oncle,
 Je suis tout en sueur, je viens de faire une patrouille avec mon caporal en avant de mon petit poste pour reconnaître les positions qui avaient du changer à cause d'une attaque faite cette nuit par un régiment qui est sur notre droite. J'ai cherché et je n'ai rien vu, les Bulgares ont du évacuer plusieurs villages, car ces jours je les voyais et depuis ce matin il n'y en a plus de traces, l'attaque a donc du pleinement réussir.
On a également de bonnes nouvelles des troupes serbes qui ont fait du bon boulot ces  jours-ci.
Je n'ai pas de nouvelles sur mon départ vers les Bosniaques.
    Je m'attends à être relevé sous peu, mes hommes sont fatigués, voilà 20 jours que je suis en petit poste.
C'est bien aujourd'hui 15 Août, mais rien ne m'en fait douter, ici il n'y a pas de fêtes.
                      Ma santé et mon moral sont excellents.

Je vous embrasse de tout cœur
Joseph Richard

P.S. Les Italiens débarquent à Salonique.



……
Dimanche 20 Août 1916

Chère tante, cher oncle,

Après 4 pénibles journées, nous sommes revenus à l'arrière ce matin et là j'ai retrouvé votre colis de conserves, illustrés, cadum et tabac, en même temps qu'une bien courte lettre de tante Octavie, je vous remercie de toute la complaisance avec laquelle vous faites toutes mes commissions, merci, merci!
Le 18 nous avons attaqué le village de Porpy le Bas qui avait été abandonné aux Bulgares il y a deux mois par un autre régiment ; la veille au soir nous recevons l'ordre d'attaquer, aussitôt l'on fait les préparatifs, c'est-à-dire une grenade par homme, 4 sacs à terre, 200 cartouches, deux jours de vivre, une toile de tente mais pas de sac , à 3h45, heure fixée, le mouvement en avant commence, quelques patrouilles assurent la marche, (moi, je suis avec le gros de la troupe). Grâce à la nuit nous approchons facilement du village à 500 m duquel nous attendons le jour, à 5 heures les patrouilles s'approchent du village, la fusillade commence, on ne voit rien mais on tire quand même, nous avançons par bonds et arrivés à 200m nous chargeons ; 5 minutes suffisent pour tout bousculer, prendre le village et installer nos positions ; de l'autre côté, les Bulgares sont en fuite et nous les arrosons par nos tirs de mousqueterie et d'artillerie, sans perdre un seul homme nous avons pris à l'ennemi un village et 4 kilomètres de terrain, c'est merveilleux !
Le soir nous sommes restés sur nos positions et l'artillerie bulgare nous a copieusement arrosés.
Nous n'avons dormi que d'un oeil; les Bulgares ont tenté en vain de nous reprendre notre gain, ils ont du vite faire demi-tour. Nous avons été relevés hier soir, c'était temps, je n'en pouvais plus.
                       J'ai bien reposé cette nuit  et ce matin je vais bien.
Je vous embrasse tendrement.
Joseph Richard

……
lundi 21 août 1916

Ma chère tante,

J'ai reçu hier ta lettre du 2/8/16 contenant les photos, merci, merci beaucoup, je t'en enverrai d'autres mais il me manque de la pellicule. Aurais-tu la bonté de me faire encore une commission ?

J'ai perdu une chose dont un poilu ne peut se séparer : mon couteau. Voudrais-tu bien m'en envoyer un avec une lame pouvant ouvrir les boites de conserves.

Puis, comme l'hiver ne peut tarder et comme les nuits sont déjà fraîches, tu pourrais me commander 2 chemises et 2 caleçons longs chez Huguet d'après les prescriptions suivantes : 1/ couleur rouge vif (car les poux n'aiment pas le rouge) 2/boutons bien cousus. 3/ 2 grandes poches à chaque chemise à hauteur des seins, 4/un col rabattu de façon à pouvoir mettre une cravate 5/ le tout en toile assez forte mais pas en flanelle.

Je te remercie d'avance et t'embrasse bien fort ainsi qu'oncle Vincent,


Joseph Richard.


      
………11 septembre 1916
         Chère tante, cher oncle,

J'attendais le courrier pour vous écrire, mais comme rien ne nous arrive, je prends de l'avance et viens vous donner des nouvelles.
D'abord je tiens à remercier spécialement tante Octavie de sa carte du Mont Cenis qui m'a rappelé les gentilles promenades d'autrefois et le bon et heureux temps de mes longues vacances.
Depuis 4 jours ma compagnie est aux avant-postes, le secteur est assez calme pour le moment, mais les komitadjis sont à craindre: ainsi il y a 8 jours ils ont pris une sentinelle d'un régiment voisin, l'ont tué à coups de poignards et lui ont coupé la tête, il faut donc ouvrir l'oeil, surtout lorsque l'on tient un poste comme le mien où la nuit l'on ne voit pas à dix mètres devant soi, heureusement que Rosalie est là et si jamais un de ces bandits venait, il pourrait peut-être en goûter
On doit attaquer un de ces jours, notre compagnie sera en réserve, mais il n'y a encore ici rien d'officiel à ce sujet, ce ne sont que des vagues bruits.
Plus rien au sujet des Bosniaques.
Les chaleurs ont diminué, les nuits sont fraîches, même froides, si bien que cette nuit je n'ai pu m'endormir et j'étais impatient de voir le soleil se lever pour réveiller mes membres engourdis.
J'attends toujours les pellicules qui, je crois, ont du prendre un bain de mer !
Ma santé est toujours bonne .Je vous embrasse de tout coeur,
       
Votre neveu, Joseph Richard.

    P.S. Je n'ai pas encore vu Charles Masson.

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        Salonique  Le 7 septembre 1916

Chère tante, cher oncle,

Le Bocage a du vous apprendre que j'ai quitté le front.
Mon estomac ne voulait plus rien faire et le Major de mon régiment m'avait évacué pour fatigue générale et amaigrissement excessif, aujourd'hui j'ai commencé à manger des purées que j'ai très bien digérées du reste, le mal n'était donc pas très grand.

Je ne suis pas encore bien fort mais les forces reviendront avec l’appétit.
 Pour aujourd'hui je m'arrête et vous embrasse bien fort

Joseph Richard.


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Dépôt de convalescents de Mikra S.P. 502 A.O.

Mikra  le  12 septembre 1916

Chère tante, cher oncle,

Mon état général me permettra désormais de vous écrire plus souvent.
Mon estomac me fait des appels désespérés, il a faim et voudrait déjà trop manger, aussi je suis obligé de le rationner ; le major a constaté ce matin un peu de jaunisse mais ce ne sera pas grave.
L'offensive a du commencer hier ici, de nombreuses troupes noires ont du débarquer.

   Je pense que tante Octavie n'a pas oublié de commander mes chemises et caleçons rouge vif, je vous dirai lorsqu'il faudra les expédier.       Les volontaires grecs dont le camp est à proximité de l'Hôpital ont l'air très courageux, ils ont soif du Bulgare, je crois qu'ils seront rassasiés sous peu.

Je vous embrasse de tout coeur,

Joseph Richard      


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Karabouroum, le 22 septembre 1916

Chère tante, cher oncle,
Ma guérison ne s'est pas faite trop attendre puisque me voici déjà convalescent, je ne suis pas encore tout à fait guéri, mais les blessés et malades sont nombreux, il faut vider les hôpitaux.

Je suis au dépôt du petit Karabouroum dans une presqu’île qui se trouve presque en face de Salonique ; c'est une ancienne caserne turque qui a été désinfectée qui nous sert de logis ; je suis un convalescent parfait, je ne me fais pas de bile et je soigne ma petite santé, d'ailleurs, quelques cafés situés tout près de notre caserne m'aident passablement pour accomplir la tâche que je me suis imposée.

Après chaque repas, je vais compléter l'ordinaire par une friture, des oeufs, de la confiture et après quoi un délicieux café, même pousse-café facilitant régulièrement ma digestion ; le soir, après le café, sur une terrasse tout au bord de la mer, nous finissons la soirée en dégustant quelques bocks de bière.

Je suis heureux et ne demande qu'une chose : que cela dure! Inutile de vous dire que je vais beaucoup mieux.

Je vous embrasse bien fort,
 Votre neveu
Joseph Richard

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Karabouroum, le 28 septembre 1916

Chère tante, cher oncle,
J'ai passé une deuxième visite hier pour voir si j'étais capable de rejoindre mon dépôt, le major m'a considéré comme trop faible encore et m'a ordonné des injections de cacodylate à haute dose, de fait j'ai bon appétit, je digère bien mais je n'ai pas beaucoup de forces, sitôt que je fais 500 ou 600 mètres, je me sens fatigué.
Les journaux nous annonce ce matin la prise de Combles, par contre ici l'Armée d'Orient ne fait pas grand chose et "ne fera jamais rien si elle n'est pas renforcée."

Mon ancien régiment, le 175eme a été chargé par la cavalerie bulgare et un bataillon a été complètement haché.

Je n'ai pas reçu une seule lettre depuis un mois, c'est navrant.

Je vous embrasse tous deux bien fort,

Joseph Richard

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  Montluçon, 18 octobre 1916


Chère tante, cher oncle,
Je viens de faire un bond fameux: Salonique Montluçon...
Je suis rentré en France pour aller à Paris suivre des cours de chef de section.
Je suis parti le 9 de Salonique à bord du "Sontay" qui a mis 10 jours pour nous amener à Marseille, nous n'avons pas vu de sous-marins par contre la mer a été très agitée, mais pas assez pour rendre malade un vieux loup de mer comme moi.
J'ai abordé hier à 10 heures à Marseille et 24 heures après je suis déjà à Montluçon: vous voyez que je ne perds pas de temps. Demain je dois partir à Paris .Sitôt que j'aurai plus de détails sur mon sort, je vous les donnerai.
Je vous embrasse tous bien fort, Votre neveu
Bons baisers à tous,
Joseph Richard


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Joinville le Pont,       le 24 octobre 1916
Chère tante, cher oncle,
Depuis deux jours je suis à l'école des élèves aspirants de Joinville le Pont, j'ai été très surpris quand à l'hôpital à Salonique, une dépêche me rappelait d'urgence en France. Immédiatement j'ai pris le bateau sans savoir où l'on allait me conduire, mon colonel m'avait proposé comme sous-officier apte à devenir officier et c'est pour cela que je suis ici où je resterai jusqu'au mois de février prochain, j'en suis très heureux, malheureusement j'ai 15 jours de retard sur mes camarades, aussi pendant quelque temps n'attendez pas de longues lettres de moi, d'ailleurs vous me savez en sûreté, c'est suffisant
Peut-être irais-je vous trouver la semaine prochaine pour la Toussaint mais je ne promets encore rien.
J'ai passé mon dernier dimanche à Paris avec Roche, j'ai fait connaissance des grandes artères de la ville et je suis rentré à Joinville complètement fourbu.
La vie est dure ici mais le temps passe vite, il y a de très bons camarades, tous étudiants et je vous promets que l'on ne s'ennuie pas dans la chambrée ; nous nous levons à 6 heures, ce n'est pas excessif ; la nourriture est bonne surtout complétée par une cantine abondamment pourvue.
Le travail est intéressant. En un mot je revis dans une atmosphère calme qui ne me fait pas regretter la Macédoine, les marmites ne tombent qu'à la cuisine et ne sont pas dangereuses
Je suis bien pourvu en linge et il n'est pas nécessaire de m'envoyer mes chemises et caleçons pour l'instant.
Le temps est froid et pluvieux, mais peu importe, nous sommes à l'abri et nous ne passons plus nos nuits en plein air.
Je suis impatient d'avoir de vos nouvelles puisque je n'ai rien reçu de vous depuis plus d'un mois, aussi je compte sur une prompte réponse. Je vous embrasse bien bien fort. Joseph Richard
Adresse :E.A Richard,1ére Compagnie,Centre d’Instruction des élèves spirants. Joinville le Pont (Seine)



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Joinville le Pont, e 17 novembre 1916

Chère tante, cher oncle,
Vous m'aviez demandé une lettre par semaine, je ne sais pas si je suis à jour, aussi pour plus de sûreté, je tiens à vous écrire ce soir.
Ici ce n'est plus l'Orient aucun événement ne vient troubler nos journées, tout est fixé d'avance et tout s'accomplit suivant la volonté de nos chefs.
Nous avons eu ces derniers jours des cours très intéressants sur une quantité engins nouveaux encore inconnus du public, sur une tactique toute nouvelle qui ne fait que commencer à s’appliquer sur le front, on espère parait-il-, avoir des résultats merveilleux avec cette nouvelle méthode surtout dans la défensive, de fait remarquez dans la Somme où nous l'appliquons depuis quelques temps, on ne voit plus de recul de l'armée française, lorsqu'on a pris une position on la tient, les boches ont beau contre-attaquer, jamais ils ne peuvent reprendre le terrain perdu, c'est un résultat ; quant à l'offensive, ce n'est pas notre affaire, l'artillerie seule a le droit de parler.
Lundi nous quittons Joinville pour huit jours, nous allons au camp de Milly près de Fontainebleau pour faire des exercices de grande envergure, vous pourrez cependant adresser vos lettres ici.
Voilà trois semaines que je suis à Joinville, j'ai déjà fait de bons amis et je me plais dans ce milieu, malheureusement le temps passe trop vite, les semaines qui me semblaient des mois en Macédoine me paraissent des jours ici encore deux gros mois et c'est la fin, le retour au front, les marmites, les balles, aussi je vous assure que l'on profite de notre bon temps, le soir dans les chambrées, ce ne sont que farces de toutes sortes, chansons, choeurs, qui nous valent le plus souvent une corvée de la part de l'adjudant de service, peu importe pourvu que l'on s'amuse.
Je ne me souviens pas si je vous ai accusé réception de votre mandat, en toute hypothèse je vous en remercie infiniment et m'excuse si j'ai oublié de le faire plus tôt.
Il n'y a encore rien d'officiel sur les permissions des fêtes de Noël et du Premier Janvier, on aura 2 à trois jours peut-être mais "il n'y a encore rien d'officiel" c'est la seule phrase qui se répète des milliers de fois par jour. Je vous embrasse bien fort,
  Votre neveu Joseph Richard
J'ai appris l'accident d'oncle Vincent par une lettre d'oncle Jules qui déjà me rassurait sur le peu de gravité de son accident, je lui souhaite un prompt rétablissement car il doit vraiment souffrir de ne pas pouvoir sortir...


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Montluçon le 15 mars 1917

Chère tante, cher oncle,
Après avoir changé 30 ou 40 fois notre ordre de départ, une décision a été enfin prise à notre sujet.

Nous partirons le 19 de Montluçon pour rejoindre un renfort du 105ème régiment d'infanterie destiné à l'Orient, de là nous nous dirigerons sur Besançon qui est le point de départ de tous les renforts de l'Armée d'Orient, il y aura donc de fortes chances que nous passions par Modane pour être dirigés sur Brindisi ou Otrante.

Je ne suis que depuis deux jours à Montluçon mais je m'y ennuie à mourir, en plus une méchante pluie fine vient accentuer notre cafard.

Donc à bientôt, je vous avertirai de l'heure exacte de mon passage à Chambéry.

Je vous embrasse
Joseph Richard


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Marseille, le 9 Avril 1917

Chère tante, cher oncle,

36 heures de chemin de fer nous ont amenés à Marseille, le voyage a été assez pénible, mais un bon lit m'a remis de toutes ces fatigues.

J'ai passé la journée à dormir et à visiter la ville dans ses grandes lignes. Ce soir nous repartons pour Livourne via Vintimille, nous avons touché quatre jours de vivres de chemin de fer, c'est un gentil voyage en perspective.
A Livourne nous aurons de nouveaux ordres pour filer sur Salonique. Le temps est beau et j'espère que demain nous aurons une belle journée pour traverser la côte d'Azur.

J'ai retrouvé mes camarades de Joinville de l'Armée d'Orient.
J'ai eu également par eux des nouvelles d'autres camarades du front français, certains sont tués, d'autres blessés, et moi je n'ai pas encore revu le front.

Je me porte bien, je vous écrirai d'Italie. Je vous embrasse tous bien fort,

Joseph Richard



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Camp de Buffaluto le 19 Avril 1917

Chère tante, cher oncle,
Je voulais vous écrire hier matin, lorsque vers 8 heures je suis appelé auprès du capitaine qui me charge d'aller à Tarente, faire des commissions pour le détachement.

A 13 heures un canot automobile vient me chercher et je pars avec 4 hommes de corvée ; je traverse "il mar piccolo" qui sert d'abri à une partie de la flotte italienne et j'arrive au goulet qui nous donne accès dans la mer de Ligurie, je débarque au port marchand, me voilà à Tarente avec mes 4 poilus qui me suivent comme des moutons ; un temps magnifique nous accompagne et donne un air vainqueur à ce grand port militaire où s'entrecroisent toute une hiérarchie de vaisseaux de guerre alliés depuis le petit croiseur jusqu'aux monstrueux super-dreadnought..

Lorsqu'on arrive sur le quai, on distingue de suite deux villes, la "Città vecchia" et la "Città nuova", un pont sur le goulet les sépare. Je me dirige vers la vieille ville et demande à un indigène de m'indiquer les grandes rues ; je suis renseigné immédiatement, je n'ai qu'à monter tout droit : de fait, j'aperçois une rue qui me parait se distinguer des autres par ses chics magasins ; c'est bien la grande rue, je n'exagère pas, elle a bien au plus 3 mètres de largeur ; je réussis cependant à trouver toutes les marchandises dont j'étais chargé d'acheter et le tout à un prix peu élevé.

L'Italie n'a pas encore faim, beaucoup de choses sont même moins chères qu'en France. Les marchands sont très polis et très gentils. Rien d'intéressant à vous conter sur ce quartier : sauf les chaussettes rouges et le souliers bas à boucles des prêtres qui se promènent presque tous la cigarette ou la pipe à la bouche
Comme je dois embarquer à 6 heures, je laisse la vieille ville les sacs pleins, les musettes gonflées de chocolat, de fromages, de cartes postales, de fil, d'encre, de cirage, etc.... etc.... et avec ma petite troupe, je vais boire un bock dans les quartiers nouveaux : les cafés sont rares, on ne voit que des bars mais nous sommes fatigués et voulons nous asseoir. Je finis par trouver un café avec chaises et tables, assez chic du reste, je m'en aperçois lorsque je paye.....

Nous flânons pendant une heure pour voir bien peu de choses, c'est une belle ville qui ressemble à toutes ses soeurs italiennes ; comme monuments, j'ai vu "il palazzo degi Uffici et la Villa Garibaldi".
L'heure approche et nous nous rendons à l'Arsenal militaire où je dois retrouver mon canot ; ici je retrouve toute l'activité que veut un Arsenal mais je ne vois rien; j'embarque; une demie heure après j'étais de retour, enchanté de ma promenade.
J'ignore encore le jour de notre départ, qui ne doit pas tarder, un bateau est là et nous attend. Je me porte bien.

Bons baisers à tous, votre neveu qui vous embrasse,
Joseph Richard

35éme Regt d'inf. SO 510. Armée d'Orient par Marseille .Pensez à mes pellicules, un film par semaine.


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Camp de Zutulick, le 27 Avril 1917

Chère tante, cher oncle,

Depuis mon arrivée à Salonique, je ne vous ai rien écrit, j'en ai honte, je me décide aujourd'hui. Je ne sais si c'est au Bocage ou à tante Eugénie que j'ai donné de longs détails sur mon voyage, je ne veux pas recommencer puisque vous avez l'occasion de lire toutes mes lettres.
Dès le lendemain de mon arrivée, j'ai été nommé de service et depuis 46 heures je suis dans une petite cabane en planches de 2m de long sur 1m50 de large et du matin au soir je vérifie les passeports des Grecs et autres Saloniciens qui veulent entrer dans le camp allié. En plus je suis chargé de la police d'un village de réfugiés, je dois empêcher tout soldat allié d'y pénétrer, je dois faire éteindre les lumières à 9 heures, interdire aux habitants de chanter la nuit, et accompagné d'un interprète, je fouille les maisons pour m'assurer qu'aucun espion n'est caché dans quelque coin. Ces pauvres réfugiés qui pour la plupart viennent des Dardanelles font pitié à voir, en général ce sont des gens de bonnes familles, mais ils ont été chassés en vitesse et n'ont pu emporter que quelques hardes, la plupart n'ont pas de souliers, une loque leur sert de culottes ou de robes, pour vivre, les hommes travaillent à faire des routes et les femmes lavent du linge ; quant aux enfants ils doivent mendier du rabiot à droite et à gauche entre leurs heures d'école (car nous leur avons fondé une école et l'Etat y a nommé des instituteurs). C'est lamentable!

Je me porte bien et vous embrasse tous bien fort,

Joseph Richard

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Salonique, 3 mai 1917,

Chère tante, cher oncle,

Il fait bien chaud pour écrire, cependant je m'y décide quand même. Depuis mon arrivée, deux courriers nous sont déjà parvenus, tous mes camarades ont reçu quelque chose„ je suis le seul sans lettres, aussi tout à l'heure, je n'avais pas l'intention de vous écrire, mais non, je ne crois pas que l'on m'oublie.

Dans deux jours nous allons commencer notre voyage sur Monastir, les étapes seront dures et je ne sais si j'emmènerai tout mon détachement à bon port ; j'ai eu des nouvelles du front, il parait que ça barde et que sous peu ce sera encore plus terrible, j'en suis heureux, j'aurai peut-être l'occasion de faire du bon travail.

Je passe mon temps à rendre visite à mes amis qui sont dans les hôpitaux, j'ai revu ainsi Bune, Girantoine, deux amis avec lesquels je suis parti aux Dardanelles, le dernier n'est pas revenu en France depuis lors, ce qui fait deux ans d'Orient, je vous avoue qu'il en a assez!

Je n'ai pas de nouvelles de Max

Je vous embrasse bien fort,

Votre neveu
Joseph Richard.



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 Armée d’Orient, jeudi 24 Mai 1917, 14 heures

Chère tante, cher oncle,

J'ai reçu depuis deux jours votre lettre du 24 Avril, je voulais vous répondre ce matin lorsque, une malheureuse distribution d'effets kaki m'en a empêché : j'ai du faire partager vestes, culottes; aux uns les culottes étaient trop grandes, aux autres les vestes trop étroites, si bien que ce ne fut qu'après deux longues heures de discussions que le travail prit fin ; après quoi, j'ai été obligé de coudre tous mes boutons, de refaire quelques coutures et l'heure de la soupe était sonnée lorsque j'allais prendre la plume.

Je vous dirai très souvent désormais que je suis occupé, vous ne me croirez pas, aussi je vais vous énoncer le travail que j'ai fourni hier après-midi : voici les états que j'ai du fournir ; à une heure, un coup de téléphone (car j'ai le téléphone dans ma cagna) allô allô fournissez immédiatement l'état des outils du parc existant à la section ; à deux heures, allô, allô, y a-t-il des hommes qui sont décorés ou proposés pour des décorations anglaises? Encore un nouvel état ; à 2 heures 45 : "allô, avez-vous des fusils lance-grenades, de combien en disposez vous?", un troisième état ; à 3 heures "allô, avez-vous des hommes sachant écrire à la machine à écrire? Un 4éme état à 3 heures et demie :"fournissez de suite un état de permissionnaires, c'est très pressé, il faut que ces hommes soient demain à Salonique" , un 5em état ; et ainsi de suite jusqu'à 7 heures, si bien que j'ai réussi à fournir 10 états dans ma journée, plus la progression du travail fait par les hommes du peloton ; donc ayez pitié de moi et ne me blâmez pas si mes lettres ne sont pas aussi longues que vous le désirez

J'ai raconté longuement au Bocage mes débuts au 372éme. Depuis les Bulgares sont assez calmes, les marmites tombent à heures régulières et depuis 5 jours nous n'avons pas eu de blessés ; je m'occupe en ce moment de la confection d'un grand boyau et de la construction d'abris, nous avons la chance d'avoir beaucoup moins de chaleurs que l'an passé, aussi les hommes peuvent fournir un assez bon travail, c'est ce qu'il faut, du reste, car le bombardement bulgare est de beaucoup plus intense que celui de l'an dernier ; les Boches sont venus en aide à leurs alliés le tir de leur artillerie est beaucoup plus précis et les positions mieux organisées, d'ailleurs plusieurs régiments boches sont en face de nous.

Le bruit court ici que la Turquie veut à tout prix une paix séparée et qu'elle ouvrirait sous peu les Détroits, c'est sûrement "un canard"car ce serait trop beau si c'était la vérité.

Mon moral et ma santé sont au beau fixe pour l'instant, donc ne vous faites pas de souci pour moi. Nous attendons un courrier ce soir et j'espère fortement recevoir de vos bonnes nouvelles, je tiendrai ma promesse à chaque lettre que je reçois je ferai sur le champ la réponse. Vous pourrez dire à tante Antoinette que ses compatriotes se battent fort et bien à 1.050 car, il n'y a que la plaine de Monastir qui nous en sépare, il ne se passe pas une seconde sans qu'un obus éclate.

Je vous embrasse tous bien fort,


Votre neveu, Joseph Richard


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Aux Armées d'Orient, le 7 Juin 1917

Chère tante, cher oncle,

Quelle joie ! Deux lettres hier au soir, une du 8, l'autre du 15 Mai, aussi pour te prouver ma sincère reconnaissance, je t'écris dès ce matin, il est exactement 4 heures trente cinq minutes.
Sur tes deux lettres, tu te lamentes de ne pas recevoir de courrier et j'ai même retenu cette phrase : "Tu ne t'imagines pas comme c'est pénible d'écrire et de ne pas recevoir de réponse. oui, je me l'imagine et beaucoup trop : depuis que je suis à la compagnie, j'ai écrit 20 lettres et j'en ai reçu 6 dont 3 de toi, 1 du Bocage, 1 de Termignon et 1 de tante Eugénie ; et je lisais hier dans le livre le plus beau, le plus vrai, le plus vécu de la guerre, je veux dire le "Feu" de Barbusse une phrase qui mérite d'être retenue : "Le moment des lettres est celui où l'on est le plus et le mieux ce que l'on fut. "Oui! c'est le moment où l'on vit le passé, où l'on pense à ceux qui nous sont chers et où notre esprit s'égare dans tous les coins et recoins chéris où se passent les scènes que l'on nous conte.
Nous sommes aujourd'hui en deuxième position, nous n'avons pas de service de surveillance à fournir et c'est une de mes premières journées de repos en perspective, il n'est que 5 heures! pas de rêves! Hier un sous-lieutenant nous est arrivé en renfort et ce n'est pas trop tôt, le service de quart de nuit sera désormais partagé en trois et 2 heures de sommeil de plus ne sont pas à dédaigner, mais ce qu'il y a d'ennuyeux c'est que ce monsieur parle très bien le grec, il va être accaparé par notre colonel et nous ne le verrons pas souvent.
Il y a deux jours on parlait de repos, mais tout est déjà fini, d'ailleurs les hommes n'y croyaient pas : je le disais l'autre jour au Bocage, le soldat français est sceptique maintenant.
Depuis trois jours je ne me porte pas bien, je suis fatigué et j'ai des coliques qui me coupent toutes mes forces, l'infirmier m'a donné des pilules qui ont donné quelques vagues résultats, c'est peut-être l'effet de la chaleur, mais non, ici on n'a pas le droit de se plaindre du soleil à côté de l'an dernier, cependant c'est toujours le même, mais il doit être comme nous, la guerre lui enlève ses ardeurs!!!
Hier nous avons touché des moustiquaires (très chics du reste) et des casques coloniaux, dès que j'aurai des pellicules, je me ferai photographier en colonial!
J'ai de bonnes nouvelles de Max qui me dit s'ennuyer faute de travail, ce n'est pas mon cas. J'espère aller un de ces jours à Monastir, tacher de faire un bon déjeuner car je n'en suis pas loin, en 1 heure et demie j'y vais et bien que la ville soit bombardée, la population mercantile reste et vole les pauvres diables qui ne peuvent aller se ravitailler ailleurs : tiens, hier j'ai fait acheter une bobine de fil, je l'ai payée 14 sous ! !
Alors, on va débusquer Charlot, il a tort, il devrait au contraire faire son possible pour rester dans l'auto, car la guerre ne durera plus longtemps (à Stockholm on doit travailler ferme pour mettre fin aux misères, aux souffrances du fantassin de première ligne car c'est le seul qui souffre) : à ce propos je te conseille de lire ou comme disait le vieux Rabelais " de sucer la substantifique moelle" du "Feu" d'Henri Barbusse, qui, lui, a osé dire la vérité, je l'ai lu trois fois et je n'y ai pas trouvé un mensonge ni même une exagération.
Le temps est beau, il fait bon. Je te remercie du muguet de ma chère Savoie. Je te quitte pour aller prendre un quart de jus que le brave père Vivien est en train de faire chauffer
Je vais tremper deux morceaux de pain grillé et avec cela j'attendrai onze heures, au revoir, je vous embrasse tous bien fort,

Votre neveu qui vous aime et vous remercie de vos longues lettres,

Joseph Richard.



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Aux Armées, le 7 juin 1917

Chère tante, cher oncle,

Merci de tous les détails que votre lettre du 21/5 m'a donnés ; tout était fort intéressant pour moi, surtout que du Chleul, je n'ai eu que cette simple phrase Tine s'est mariée la semaine dernière".
J'ai eu ce matin une lettre de Max qui me dit être allé à Chambéry et me donne de bonnes nouvelles de vous tous.
Je dois déjà vous avoir accusé réception du colis de chaussettes, en tous cas, je vous le renouvelle et vous en remercie de nouveau.
    Dans mon coin, rien de sensationnel, l'on est toujours très bien
J'ai eu dernièrement de bonnes nouvelles de Charlot qui me sert de commissionnaire, je lui ai commandé hier de la toile kaki pour me faire faire un costume un peu chic ; bien que l'on soit perdu dans la montagne, on aime à être chic !
Je reçois très régulièrement vos journaux, et j'ai lu ce matin que le tabac commençait à manquer, est-ce que oncle Vincent a toujours sa vieille réserve dans la "taupine" en turc
Je vous envoie ci-joint une caricature qu'un camarade s'est amusé à faire en souvenir d'une ballade à mulet: on voit la pauvre petite mule à bout de souffle et ainsi réduite par mes 80 Kilos.
Ma santé est bonne, je vous embrasse de tout coeur,

Joseph Richard.




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Aux armées d’Orient, le 16 Juin 1917

Chère tante, cher oncle,

J'ai en poche depuis quelques jours votre lettre du 22 Mai, j'ai le temps d'écrire, je me mets au travail. D'abord, je te félicite et te remercie de ton assiduité pour m'écrire, j'ai été content d'avoir de bonnes nouvelles de mes amis, et de savoir que bientôt tu vas aller à Myans demander à la Vierge Noire de nous protéger.
Il y a trois jours nous sommes allés réaliser un projet déjà bien ancien, celui de prendre une douche ou plutôt un bain turc, j'ai profité de cette occasion pour visiter Monastir.
La ville est, de par sa population, bulgare, il y a pas mal de turcs et 30 familles serbes y sont encore ; de ces trois races c'est le turc qui est le plus hospitalier et le plus poli. La ville a bien souffert du bombardement qui a endommagé surtout le vieux quartier, il reste encore beaucoup de maisons et par le fait, beaucoup d'habitants, les cafés sont ouverts : j'ai eu l'occasion de boire du sirop de feuilles de roses ( ce qui, du reste, est excellent), les restaurants vous servent à manger et les marchands de bric à brac y pullulent, on en rencontre partout
Les Français qui combattent depuis bientôt trois ans pour le Droit, la Justice, la Liberté, la Civilisation etc..etc...se sont installés dans Monastir en "conquérants", les habitants doivent nous fournir des chambres et des cantonnements, je suis allé voir un de mes amis qui fait un cours en ville et j'ai eu l'occasion de voir un intérieur turc, il habite chez un notaire turc : la maison est précédée d'une petite cour ou jardin semé de roses qui à cette heure, sont toutes en fleurs (je me suis vu une seconde dans le fonds du jardin du Bocage, hélas!, j'en étais loin! ) Deux femmes s'y promenaient, lorsqu'elles nous ont vus, elles ont disparu. La maison est gracieuse, à un seul étage, devant le rez de chaussée quelques colonnes qui forment un portique garni de sofas, chaises et autres sièges. L'intérieur est très propre, les gens de la maison n'y rentrent que pieds nus, car tout le plancher est recouvert de tapis, en bas sont la cuisine et la salle à manger, au premier les chambres à coucher qui ne diffèrent en rien des nôtres, sauf que notre lit est remplacé par le sofa, les draps sont inconnus ; le notaire est très gentil pour mon camarade, il a été fatigué un jour et constamment on venait voir ce qu'il lui fallait, on lui a offert plus de 20 infusions dans la journée!
Le soir, j'ai soupé chez mon camarade avec des officiers grecs et ensemble nous avons fêté le départ de Tino, autrement dit Constantin, ces officiers viennent se battre et croient rejeter les Bulgares vers Sofia, ils n'y sont pas encore! Nous allons, parait-il, avoir du repos dans quelques semaines. J'ai reçu de bonnes nouvelles de Max et j'espère pouvoir aller l'embrasser si je suis au repos.
J'attends un courrier demain. Je vous embrasse bien fort,

Votre neveu.Joseph Richard

Je joins à ma lettre quelques photos que j'ai fait développer à un camarade, pourrais-tu m'envoyer un exemplaire de chacune sur papier .


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Aux Armées de Sarrail, le 20  juin 1917
Chère tante, cher oncle,
J'ai beaucoup de travail cet après-midi, j'ai deux comptes-rendus à fournir pour 18 heures et 3 croquis à terminer, aussi je ne vous écrirai que quelques lignes pour vous accuser réception de vos lettres des 29 et 31 Mai et de votre colis de conserves et Kodak dont je vous remercie infiniment.
Ne me parlez pas encore de galons de sous-lieutenant, on ne va pas si vite au 372è, d'ailleurs je ne demande pas de galons, je ne souhaite qu'une chose, la paix.
J'ai vécu avec vous les heureux jours que vous avez passé en famille durant la permission de ce brave oncle Alfred, je vous ai enviés, mais que faire, ici les permissions n'existent pas malheureusement, si j'étais en France je ne tarderai pas à y aller ....... pauvre armée d'Orient!
Voudrais-tu me donner l'adresse de Charlot et si tu peux le conseiller, dis lui de faire l'impossible pour ne pas entrer dans l'infanterie.
Tu me proposes des livres et des brochures, ce serait avec joie que je les recevrais, cependant permets moi un conseil : ne fais pas d'inutiles dépenses pour m'envoyer des livres neufs, car ici tout sera inévitablement perdu ; surtout que l'on trouve de très bonnes occasions dans les librairies.
La chaleur n'est pas forte ces temps ci, par contre les nuits sont très très fraîches pour ne pas dire froides, aussi j'ai toujours de fortes coliques, d'ailleurs, tout le monde est dans mon cas.
Max m'écrit très souvent, il va bien. Je vous quitte pour me mettre au travail, je vous embrasse bien fort, et vous remercie encore de toutes les attentions que vous avez pour moi,
Joseph Richard


 Ci-joint 3 pellicules que tu conserveras, elles ont été tirées à Salonique.



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     Aux Armées d’Orient, le  28 juin 1917
Ma chère tante, mon cher oncle,
 Je suis désolé en pensant que vous ne recevez pas mes lettres, cependant je vous assure que j'écris ; d'ailleurs, voici les dates de mes lettres, notez les bien : 24/5, 7/6, 12/6, 20/6, c'est à dire tous les huit jours à peu près, d'ailleurs, c'est simple, j'ai répondu jour pour jour à vos lettres des 28/4, 3/5, 8/5, 13/5, 29/5. J'ai reçu hier votre lettre du 5/6, vous pouvez vous rendre compte comment marche le service postal, c'est ignoble et révoltant. C'est vrai qu'en France, on se moque de l'Armée d'Orient, nous sommes des embusqués, les marmites ne tombent pas, ce qui n'empêche pas que quatre obus viennent de tomber à l'instant devant ma cagna et j'allais sortir au même instant, heureusement que j'avais oublié ma pipe et que j'ai fait demi-tour pour la chercher sans quoi je recevais un 105 sur le coin de la figure, personne ne s'occupe de nous, personne ne rouspète, on n'a pas de repos, pas de permissions, on mange de la viande gâtée par le soleil, on crève de faim . Je ne mens pas, tout cela n'est rien! Attendez, tout cela se payera! C'est bien facile pour un député de gueuler "on les aura" "jusqu'au bout" "droit" "liberté" "civilisation" "justice",lorsque l'on a le ventre plein et l'estomac rassasié, c'est facile pour Barrès (surnommé le littérateur du territoire...)( qui a son fils lieutenant automobiliste) de vouloir tuer le militarisme prussien, mais pour le pauvre poilu qui doit manier le manche d'une pelle ou d'une pioche toutes les nuits avec un petit morceau de viande dans le coco, je vous assure que c'est plus dur ; si vous voulez avoir des soldats, donnez leur à manger, s'ils manquent d'approvisionnements, que l'arrière se mette un cran, mais donnez aux soldats du pain mangeable, de la viande et des légumes en quantité suffisante. Je ne suis pas révolutionnaire, je réclame notre droit. Je ne parle jamais de moi, c'est pour mes hommes que je réclame! Ma compagnie est en ligne pour l'instant, notre secteur est assez dur, je ne perds pas mon temps depuis que je suis ici, je dors moins souvent qu'à mon tour ; les hommes tiennent parce qu'on leur a promis du repos pour le début de juillet, ce ne serait pas trop tôt, ils sont en ligne depuis le 4 Avril, c'est déjà un début! On cause fort du départ de notre division pour Athènes, c'est un bruit qui est à l'état de canard, car rien n'est encore venu le confirmer officiellement. Ce soir, on doit m'apporter mon appareil photographique, mon commandant de compagnie qui a son frère à l'arrière, se charge de faire développer mes pellicules, je t'enverrai donc les pellicules déjà développées. Ma santé physique est devenue bonne, j'ai soigné activement mes coliques car....... non, je ne dis rien, je vois le spectre d'Anastasie!!!
Si je vais au repos, je vous enverrai des vues de Monastir, il parait que depuis quelques temps on en trouve, et même si j'en ai le loisir, je prendrai des vues de la ville avec mon Kodak.
Max m'écrit régulièrement et va bien, il est toujours dans le même coin. Il commence à faire chaud et avec la chaleur commencent les évacuations, je n'ai pas eu de nouvelles crises de paludisme.
Je finis en vous embrassant tous bien fort,

Votre neveu. Joseph Richard



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Kisovo, le 18 juillet 1917
  Ma chère tante, mon cher oncle,
Puisque j'ai beaucoup de liberté pendant ces jours de repos, je me propose de t'écrire quelques mots pour t'accuser réception de ta lettre du 26 Juin.
Je voulais déjà t'écrire ce matin mais mon proprio de Turc est venu me réveiller trop tard et j'ai eu juste le temps d'aller me laver avant la soupe.!, c'est à dire plus franchement que je me suis levé à 9 heures ; mon vieux Turc donc continue à être très prévenant pour moi, chaque matin j'ai mon lait qu'il m'apporte au lit, nous nous serrons la main, nous causons par gestes naturellement...Je lui offre une cigarette dont il se délecte pendant que je bois mon déjeuner ; dès que j'ai terminé, il se retire en me faisant moult révérences, quelles drôles de meurs ! Quelle race hospitalière! C'est malheureux de se battre ici! On ferait mieux de les civiliser non pas moralement car sur ce point ils le sont beaucoup plus que nous, mais on devrait leur donner des moyens d'exploitation agricoles et industriels pour mettre en valeur leur riche pays, car c'est lamentable de voir avec quels instruments ils cultivent leurs champs ; quant à la mécanique, c'est pour eux un mystère: par exemple, leurs moulins sont tout ce qu'il y a de plus archaïques, le moulin du plus petit et du plus arriéré village de France vaut cent fois un des leurs.
Je suis chargé avec quelques camarades d'organiser une journée récréative pour les hommes, on va faire des courses, des jeux„ on chantera, on débitera des monologues, je m'occupe de la partie sportive de la fête, sauf de la course d'ânes que l'on a confiée à un sous-lieutenant portant le nom d'un maréchal d'Empire qui a beaucoup de ressemblance avec celui que portent ces animaux, c'est peut-être une malice ! Elle n'est pas de moi.
Ma santé va en s'améliorant chaque jour. Ma compagnie est la 19ème.
Je souhaite que tu puisses aller passer quelques jours à Termignon avec papa qui est bien seul à Termignon maintenant.
J'ai reçu un seul rouleau pour l'instant, j'attends les pellicules que tu m'annonces.
Nous avons de fortes chaleurs, le thermomètre nous donnait 60° à midi, nous ne sommes plus à 1248, quelle différence!!!

Je termine en vous embrassant tous bien fort,
       
Votre neveu Joseph Richard.


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Kisovo, le 22 Juillet 1917

Chère tante, cher oncle,

J'ai reçu hier ta lettre du 30 juin où tu essayes de me consoler et de me remonter le moral, à cette heure, je me suis fait un programme : j'accepte philosophiquement mon sort, sans m'occuper de ce qui m'arrivera le lendemain.
Nous sommes toujours en repos, on cause fort d'un déplacement de la Division et même de sa dissolution pour envoyer en France tous les hommes ayant plus de dix-huit mois d'Orient.
Je m'aperçois qu'il n'y a pas qu'ici que la viande est gâtée, c'est la même chose sur le front français puisque les Chiron s'en plaignent, chez nous il y a du mieux depuis quelques temps.
Nous venons de recevoir un nouveau capitaine, il m'a paru assez gentil
 Je t'écrirai plus longuement aujourd'hui car c'est la fête du bataillon.
Je t'embrasse bien fort ainsi qu'oncle Vincent,

Joseph Richard


Ma santé est bonne, j'ai bon appétit, ça va...



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Kisovo, le 25 Juillet 1917

 Chère tante, cher oncle,

Je t'accuserais d'abord réception de ta lettre du 3 Juillet où tu me parles de l'incendie du Faubourg et de la disparition du capitaine Bergin, je pourrais te donner des renseignements à ce sujet : l'attaque du 16 mai à laquelle j'ai failli prendre part puisque mon bataillon n'a pas donné simplement à cause de la faillite de l'attaque des coloniaux, a été prononcée par deux régiments coloniaux, le 34è et le 35è (Mr Bergin devait sûrement appartenir à l'un des deux); la première vague est partie à 4 heures exactement, favorisée par l'aube, elle put arriver jusqu'à la tranchée bulgare, mais la préparation d'artillerie avait été insuffisante et les Boches (car ce jour là nous avions des Boches en face) sortirent de leurs abris et chassèrent les assaillants à la grenade, et même a-t-on dit, firent deux compagnies prisonnières, le coup était manqué, mais la responsabilité de celui qui commandait l'attaque était encore engagée, il fallait recommencer ; à neuf heures on remettait ça et les pauvres coloniaux ont du traverser un tir de barrage dans lequel ils laissèrent bien des plumes, on les voyait sauter en l'air, fracassés par les 210 et 350 bulgares ; les quelques malheureux qui purent arriver à la tranchée boche en furent rejetés illico, et..... ce n'était pas suffisant, une troisième attaque eut lieu à 2 heures de l'après-midi, la réception que lui firent les Bulgares fut encore plus soignée, cependant l'effectif étant plus fort, on prit le piton ; notre Bataillon reçoit l'ordre d'attaquer son objectif, je dis à mes poilus :"allons-y"mais non, le contre-ordre arrive aussitôt ; le piton n'a pu être tenu puisque seuls un colonel et dix hommes arrivèrent au but et ne purent donc arrêter la contre-attaque boche déclanchée immédiatement ; le soir, on n'a pas pu sortir chercher les blessés, vu le bombardement et la fusillade : voilà ce qui s'est passé ; sur deux régiments, il y a eu 1800 tués ou disparus et.... on disait sur le communiqué officiel : "sur le front Nord de Monastir, on repousse les contre-attaques. "
Nous sommes toujours à Kisovo, mais ce n'est plus le bon temps  on fait deux heures d'exercice le matin et deux heures de travail le soir, mais les "Noirs" ne tombent pas, sous peu nous reculerons encore.
Je t'envoie ci-contre une photographie que j'ai prise devant le P.C. ( lisez poste de commandement) de la 19è de l'ouvrage d'où est partie l'attaque du 16 Mai : de la droite à la gauche,Mr Ferraud, sous-lieutenant commandant de la Cie, Mr Calliatis, sous-lieutenant grec révolutionnaire, Mr Paillart, sous lieutenant français, Mr Zagarakis, sous lieutenant grec, auteur dramatique et un poilu à la gauche, vous verrez une grenade sur la gamelle ; n'oublie pas de m'envoyer les photos sur papier que je t'ai réclamées.
Ici on nous bourre le crâne avec l'armée américaine mais comme dit "l'Oeuvre", le plus chic journal français : "Bourrer le crâne ne remplit pas l'estomac. "
Lorsqu'on les aura vu à l'ceuvre on parlera...
Je vais peut-être rentrer en France, comme vieux soldat d'Orient puisqu'on parle de la relève, dois-je accepter ?
Je vais bien mieux.
Je vous embrasse tous bien fort,

Votre neveu, Joseph Richard.      




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      Tarente, le 26 Janvier 1918
Chère tante, cher oncle,

J'avais dit hier au Bocage que je leur dirai le nom du bateau sur lequel j'embarquerai, mais il est dix heures, on part à midi et je ne sais pas encore le nom du bateau qui m'emportera en Orient ..... Ne vous faites pas de mauvais sang, je vous l'écrirai d'Itéa (port de débarquement)
Le temps est superbe, la mer sera bonne, Charlot en est heureux, car il craint fort le mal de mer, quant à moi, peu m'importe.
Nous ne sommes pas fâchés de quitter ce camp, plein de vermine, triste, comme un permissionnaire qui retourne au front et où l'on mange, on ne peut plus mal.
Au revoir Tarente, à bientôt ! ! !
Je vous embrasse tous bien tendrement,
Votre neveu,       Joseph Richard

DH : on embarque sur le Danto Castro


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        Aux Armées, le 26 février 1918
        Chère tante, cher oncle,

D'abord pendant que j'y pense, il faudra à l'avenir ne mettre sur mon adresse que la compagnie et le régiment et le secteur, il est interdit de mettre "Armée d'Orient Via Marseille" donc voici l'exemple: Aspirant Richard, 19è Cie 372è d'infanterie S.P. 508, c'est tout.
J’ai déjà reçu deux cartes et une lettre de tante Octavie, lettre et cartes qui m'étaient adressées à Marseille et qui sont arrivées ici avant moi, vous devez penser tout le plaisir qu'elles m'ont causé, mille fois merci.
J'ai écrit dernièrement au général Bordeaux, commandant la Mission Française à Athènes, voici ce qu'il m'a répondu: "Mon cher Richard, je n'ai pas oublié ni votre père, ni sa maison où je fus longtemps logé, ni Termignon et les bons séjours dans les Alpes de Maurienne. Vous me faites grand plaisir en me montrant que, de son côté, votre père ne m'avait pas tout à fait oublié. Une heureuse circonstance nous rapprochera peut-être quelque jour, s'il en est ainsi, venez droit à moi, je vous prie. En attendant, continuez à donner le bon exemple, en bon Savoyard coutumier des vertus militaires. Que Dieu continue à vous protéger, je vous serre bien affectueusement la main, signé : Général Bordeaux."
J'ai eu peut-être un peu d'audace le jour où je lui ai écrit directement, mais je ne m'en repens pas aujourd'hui, j'aurai toujours auprès de lui un appui solide et il sera toujours heureux de me rendre service.
Vous voyez qu'en guerre, on apprend à se débrouiller.
Depuis deux jours, j'ai réussi à me monter une cagna épatante, j'ai déjà un lit, une table de nuit, des portemanteaux, un poêle. J’ai un petit chez moi, je suis tranquille, je n'ai pas le cafard, hier au soir, j'ai joué aux cartes jusqu'à onze heures avec un autre aspirant, le commandant de compagnie et un lieutenant, mon commandant de compagnie est très gentil pour ses chefs de section qui sont tous très jeunes, classe 15 tous trois et lui est de la classe 95, c'est un bon papa, avec lui on pourra s'entendre.
Le temps est au beau depuis ce matin, ça va.
 Je vous embrasse tous bien tendrement.

J'ai de bonnes nouvelles de Charlot,
Joseph Richard.


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Piton des Loups, le 10 mars 1918
Chère tante, cher oncle,

J'ai reçu ce matin votre lettre du 19 Février, adressée à Ostrovo.
Nous sommes toujours au repos, hier je suis allé dans les villages de la région pour faire des achats pour la compagnie, j'ai réussi à faire 40 kilomètres pour trouver 10 Kilos de haricots et 8 oeufs, la misère de ces populations fait pitié.
Je crois que les permissionnaires américains vont bouleverser le calme de notre capitale, espérons que tels les Romains, ils feront une véritable rafle des jeunes filles à marier! Pourvu qu'il nous en reste ! ! !
Nous avons reçu en renfort un nouvel officier que j'avais déjà connu comme commissaire de gare, encore une victime à Mouriez !
Alors Monsieur Therme va être des nôtres sous peu, gare au soleil!!! Ma santé est bonne, les rhumatismes ont bien quelques velléités à se faire sentir, mais n'ont pas encore percé.
Le temps est beau et presque chaud. J'attends le gâteau et les oeufs de Pâques
Je vous embrasse tous tendrement
Joseph Richard



Veux-tu dire à tante Antoinette de penser à mes chemises et caleçons kaki et cravates. (Je mesure 1m79, tour de cou 41).



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         Piton des Loups, le 16 Mars 1918
         Ma chère tante, mon cher oncle,
Je voulais attendre le colis que vous m'annonciez dans votre lettre du 26/2 pour vous répondre, mais ne le voyant pas arriver, je m'exécute, bien que je n'aie pas grand chose à vous conter.
D'abord ayez bien soin de mettre le prénom sur vos adresses car il y a ici un aspirant qui s'appelle aussi Richard.
Ce matin la neige a fait de nouveau son apparition , aussi cet après-midi, nous avons repos, c'est à dire nettoyage des armes, des effets, des cagnas ; le repos complet n'est pas comme chez nous!
Demain je vais aller à Invedu (?) pour toucher mon indemnité de tranchées de l'an passé que l'on ne m'a pas encore payée, je vais faire 20 kilomètres pour toucher 30 Frs en espèces et 30 francs en timbres, ça paye le port.
Tu me demandes si je veux des illustrés, mais oui, oui, le plus possible, ils seront toujours les bienvenus.
Moral radieux. Santé bonne.
        Je vous embrasse tous bien fort
Joseph Richard


 Je cours faire une partie de tarots.



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                        Aux Armées, le 24 mars 1918

    Chère tante, cher oncle,

    Votre délicieux plum-cake est arrivé à pic hier en même temps que la corvée de Salonique, aussi on a pu le faire glisser avec une non moins délicieuse bouteille de "Graves".
     Je ne serais que l'interprète de mes camarades pour féliciter et remercier tante Octavie de ses talents culinaires et je souhaite en même temps, qu'elle mette autant d'application à la confection d'un suivant...
     Je n'ai pas encore reçu les revues que vous m'annoncez, par contre j'ai déjà 2 journaux "Nouvelliste". Je ne voudrais pas que l'envoi quotidien d'un journal vous ennuie, aussi vous pourriez tout simplement me faire abonner.
     Nous sommes en train de construire une chapelle pour célébrer la messe le jour de Pâques, ce sera la première messe à laquelle j'assisterai au 372, depuis 2 ans, ce n'est pas mal....
     Les beaux jours ne sont pas encore arrivés, il a plu toute la journée d'hier et toute la nuit, aussi aujourd'hui le temps est froid.
     Mon collègue est près de moi et veut m'empêcher de continuer ma lettre, je me vois donc forcé d'arrêter.  
     Je vous embrasse tous bien fort,
                                                                                                           Joseph Richard.


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         Aux Armées le  30 mars 1918

     Chère tante, cher oncle,

     Je voudrais faire comprendre à tante Octavie toute la gratitude dont je lui suis redevable pour la régularité avec laquelle elle m'expédie le "Nouvelliste", combien on est heureux d'avoir ici des nouvelles de la petite Patrie, vous ne pouvez vous l'imaginer!
     Nous avons aujourd'hui un soleil radieux qui vient réparer les dommages causés par 3 jours de froid, de pluie, de neige ; pendant trois jours l'encre a gelé, le vin, le pain, tout était glacé, comme abri; nous avions nos toiles de tente et comme lit, de la boue, notre nouveau secteur s'annonce bien mal. Je n'ai pas reçu les revues que vous m'aviez annoncées il y a environ un mois, sûrement, elles ont plu à quelque postier qui les aura soigneusement gardées.
     Nous n'avons pas de nouvelles officielles du front français, on dit ici que les Anglais résistent, ne leur faudra-t-il pas encore une fois le secours des braves français?
     Ma santé est bonne,
     Je vous embrasse de tout coeur,
Joseph Richard.



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            Aux Armées, le 8 Avril 1918               
Chère tante, cher oncle,
J'ai reçu ta longue lettre du 25/4 où tu m'annonces le retour à Chambéry d'Oncle Alfred et de Max, vous avez du ainsi passer de belles fêtes de Pâques, j'étais bien loin de vous et cependant je vous ai tous vu réunis autour de la table de famille du rez de chaussée du Bocage, mon coeur était avec vous tous.
Tu me rappelles dans ta lettre l'accident arrivé à Charlot à Livourne ou plutôt dans le chemin de fer entre Marseille et Livourne, de fait, c'est bien une vraie gale ! On s'en est bien amusé !
Depuis plusieurs jours nous avons de nombreuses alertes, il faut faire monter les sacs, préparer toutes ses affaires, en un mot, être prêt à partir, à ce moment alors on nous dit : "c'est fini, vous pouvez déplier le tout, on ne part pas!"
Cette nuit encore, nous avons eu une petite scène causée non pas par un ordre militaire mais par la pluie ; nous logeons pour l'instant dans de petits abris recouverts de branches et de terre et bien que ce toit puisse résister à un 77, il ne résiste pas quelques heures de pluie, aussi ce matin vers trois heures, je suis réveillé par un petit filet d'eau qui me coulait sur la figure, ce n'était que le début ; je me lève et avec l'aide de mon fidèle ordonnance. J'installe une toile de tente au dessus de mon lit et...tranquille, je me recouche et dors, mais ce n'était pas fini, l'eau qui me coulait sur le nez, reste dans la toile et lorsque la ficelle ne peut plus retenir le poids de l'eau, elle se casse et je suis réveillé en "fantaisie" par la valeur de trois seaux d'eau qui me "rappliquent sur la figure", tu vois la suite ...on rigole chez nous!!!
Ne crois pas que je me sois fait de la bile, j'ai tout simplement bourré une vieille pipe et, stoïque, j'ai attendu le jour tandis que la fumée de mon fourneau essayait de me sécher!!!
Je reçois régulièrement les "Nouvelliste" qui me font grand plaisir.
   Ma santé est bien trempée! Embrasse bien fort pour moi oncle Vincent.
         Bons baisers de ton neveu                            Joseph Richard.

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Aux Armées, le 17 avril 1918
Chère tante, cher oncle, 
En quinze jours ta lettre du 2 Avril m'est arrivée, et en même temps j'ai reçu 4 journaux, du tout, je te remercie mille fois. Tu me demandes des détails sur ma vie, elle est bien monotone et bien régulière pour l'instant : un quart de café que m'apporte mon fidèle ordonnance me réveille vers 6 heures et demie, la compagnie se rassemble et je l'emmène au travail (tranchées, boyaux, abris) qui se termine à 10 heures, je rentre, je fais ma toilette, j'écris une lettre, la soupe sonne ; on mange, une pipe ou un cigare, un café, il est midi ; de nouveau la compagnie se rassemble, travail jusqu'à 5 heures, soupe, pipe, café, chansons ou jeux et à 10 heures je rentre dans mon gourbi, j'y trouve mon ordonnance plongé dans quelques romans d'amour, mon lit est fait, une dernière cigarette, et je m'endors. J'ai presque honte de te décrire une si belle vie tandis que nos braves frères du front français se font tuer par milliers dans le charnier de la Somme. Comme camarades, deux aspirants, classes 14 et 16 et un adjudant classe 16, donc beaucoup de jeunesse, beaucoup de gaieté et très peu de cafard qui se porte d'ailleurs très peu depuis mon arrivée ici ; seul le sergent-major est grognon, c'est un vieux de la classe 1903 qui se révolte au milieu des "chahuts" que l'on organise dans son bureau ; souvent, au milieu d'un dîner, on le voit bondir et quitter brusquement sa place, fou de colère, mais comme disait Jean autrefois : "si ma tête est folle, mon ventre en souffre." , il revient vite reprendre la côtelette qu'il a quittée quelques instants auparavant, on le calme et tout marche bien à nouveau. Pourquoi critiquer les soldats italiens venus comme travailleurs sur le front français ; naturellement l'Italie n'a pas envoyé l'élite de son armée, seuls les auxiliaires ont pu être envoyés, aussi on ne doit que remercier notre Alliée de l'effort qu'elle a fait en nous envoyant des hommes car sûrement ils nous ont déjà rendu des services.
Ma santé est bonne. Bons baisers à oncle Vincent et reçois, ma chère tante, mes meilleurs et plus tendres baisers,       
Joseph Richard
Pourrais-tu me faire envoyer quelques paires de chaussettes ?




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Le 25 Avril 1918
         Chère tante, cher oncle,

J'ai énormément de travail cette semaine, on organise une véritable fête pour dimanche : ce ne sont plus des chansons qui seront débitées, mais on va jouer une petite revue qui passera à tour de rôle nos officiers et nos poilus ; il faut faire apprendre les rôles en deux jours, alors ça barde fort, mais on y arrive quand même, je ne crains qu'une chose, l'alerte, car les canons ont l'air de se fâcher ! !
J'ai reçu ta lettre m'annonçant le Plum encore tout chaud lorsque tu le mettais en cage, vivement qu'il s'amène.
Tu me parles d'acquisition d'un certain bronze et je remarque que dans chacune de tes lettres tu m'annonces des achats quelconques ; ferais-tu par hasard partie de cette race dénommée "les profiteurs de la guerre"  A moins quel goût du luxe ne te taquine, c'est peut-être un peu tard, non, excuse moi, je ne veux pas faire de morale, ça ne me sied pas!
Depuis deux jours il fait beau, mais pas encore chaud, cependant la nature nous annonce le retour du printemps, les arbres bourgeonnent et les prairies commencent à verdir.
J'ai de bonnes nouvelles de Charlot qui est à Salonique maintenant
Ici tout va bien.
Je vous embrasse de tout coeur,
Joseph Richard

Je reçois toujours très régulièrement les journaux.


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         Aux Armées  le 3 mai 1918
  Chère tante, cher oncle,
Je ne crois pas avoir répondu à ta carte du 16 Avril, j'ai le temps de le faire avant la soupe, en avant!
J’ai également reçu le plum-cake délicieux du reste, merci pour"Les lectures pour tous", je ne dis rien des "nouvelles religieuses", je t'avouerai cependant que je les ai lues ; le "nouvelliste" m'arrive très régulièrement.
J'ai vu sur l'un des derniers numéros la belle citation de Benjamin Bozon-Verduraz, voilà un brave.
Cette fois, la guerre commence à se faire sentir, 200 grammes de pain, c'est bien peu, enfin si par hasard ce n'est pas suffisant, pensez que les soldats en ont eu bien moins quelque fois ; notre ravitaillement marche très bien pour le moment, un bateau de riz vient d'arriver, on nous en sert depuis 10 jours matin et soir.
Aujourd'hui nous avons un dîner merveilleux, j'ai reçu hier des saucisses de Termignon et on va manger des saucisses au riz pépère.    Je ne sais pas si Charlot a disparu de la circulation, je n'ai pas de ses nouvelles depuis 10 jours, il va se faire gronder le jeune homme.
Pour terminer, il faut que je vous raconte une sortie d'un poilu : la conversation roulait naturellement sur la guerre, le poilu en question dit à un célibataire : "moi je sais au moins pourquoi je me bats, j'ai du bétail à la maison, j'ai une vache et un veau". Il parlait de sa femme et de son fils. J'en ai bien ri car le soleil d'Orient l'excuse.

Je vais bien. Je vous embrasse de tout coeur.

Joseph Richard.





3 commentaires:

  1. Bonjour,
    Je découvre votre superbe site tout occupé que je suis à établir le parcours de mon aïeul paternel aux Dardanelles et Balkans ...
    Je me suis permis d'enregistrer les photos qui correspondaient à mes recherches.
    J'ai commençais à lire les lettres ... Très intéressantes car elle nous font découvrit l'ambiance qui régnait.
    Mes félicitations les plus sincères pour votre travail de mise en forme !
    Cordialement,

    G. B.

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    1. Merci pour votre message que je ne découvre que maintenant
      Effectivement c'est le travail de mon père qui a fait ça pour son beau père
      Ravi que vous ayez pu récupérer des éléments
      Mon père n'est plus là pour lire votre message mais il aurait été ravi de le lire
      cordialement
      Guillaume Petit fils de Joseph Richard

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  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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